La grandiosa utopio

Ma nouvelle
Gen-X

Gen-X est née de la volonté d’écrire une courte histoire d’amour avec quatre enfants au lycée, en classe de seconde et aux diverses personnalités : une artiste très introvertie, une extravertie qui dit ce qu’elle pense, un extraverti bienveillant et un introverti plutôt social. Akemi s’est prêtée à cet exercice, dont elle est la source, pour sa nouvelle Premier contact. C’est seulement environ un an après, en février 2024, que je parviens à achever le récit qui suit. Bonne lecture.

Gen-X

Cette ruelle de nuages cotonneux, ces couples aux doigts qui s’enlacent ou dans les bras qui se serrent, ces autres vaporeux qui lèvres à lèvres se figent, apparaissent comme un doux rêve. Silène est amoureuse, non pas de cette maquette qui son état reflète, mais de Mathis, un garçon vivant lui aussi dans cette salle où l’art s’épanouit les mercredis. Une touche de chair pour la chair et de rose pour les joues. Les bâtiments sont duveteux, délicatement brossés en un sens pour suggérer l’alizé, ce vent qui souffle ni trop ni trop peu. Seuls le végétal et quelques finitions manquent. Des tulipes enfantines, des hémérocalles en escale et des azalées, des fleurs toutes éternelles. « Tiens, il me regarde », se dit-elle, le pressentiment qu’il va venir. Dans les moments de fortes émotions, elle retourne mentalement à la fenêtre de sa chambre. Elle est d’un bois opalescent et le verre est pris dans des croisillons. Silène en tourne alors la poignée. À la floraison passée, dans la vigne grimpant juste sous le mur, appelaient leur maman les oisillons. C’est beau, le printemps, comme une naissance. Vient aussi à ses oreilles la mélodie du carillon, entrecoupée par son nom, en fond. « Silène » se répète-t-il. Elle relève la tête, passe les mains sous ses cheveux pour en extraire la musique. Le jardin disparaît et Mathis tente à nouveau d’interagir. La gorge de la fille se noue et son sang se réfugie sous un visage au teint d’ordinaire plutôt pâle.

Il aime sa maquette. Elle le remercie, lui dit que c’est gentil. Il lui tend alors une clef si petite que si elle la touche, elle le touche.

Elle lui demande d’une timide voix ce qu’elle contient et il lui répond qu’il s’agit d’une compilation pouvant lui plaire. Elle comprend aussitôt le rapport avec leur première et seule conversation depuis celle d’aujourd’hui. Mathis et elles avaient un peu discuté de sa maquette et aussi de musiques pour lesquelles ils se sont découvert certaines affinités. Il venait tout juste d’emménager en ville et d’intégrer ce collège.

Comme pour éviter l’évanouissement suite à tout contact, Silène préfère présenter sa paume. La clef s’y dépose et elle remercie à nouveau le garçon, lui promettant de lui dire ce qu’elle en pense. Il trouve cela super et lui propose d’y mettre ce qu’elle aime, pour qu’il puisse découvrir des musiques à son tour.

Mathis – Au fait, nous ne nous sommes pas fait la bise. Nous sommes amis, je crois.

Silène n’a pas vraiment le temps de réagir que Mathis est déjà penché au-dessus de la cité onirique, le visage à côté du sien. Elle relativise finalement mieux la situation que ce qu’elle imaginait. Les deux artistes se sourient avant que Mathis ne retourne à ce qu’il nomme de l’aquarelle tridimensionnelle. Sa feuille est si gondolée que c’en est à la fois amusant et original. Le romantisme agrège davantage les songes de Silène au bout de ses doigts, là où elle est pieds nus, la tête dans les nuages. Elle sait que ses mots et ses diverses gesticulations pour s’exprimer reflètent très maladroitement ses pensées. Elle aurait aimé lui dire qu’elle le trouve attentionné et que recevoir cette sélection musicale, faite rien que pour elle, la touche beaucoup.


Le professeur entre. Trente-deux élèves et leurs soixante-quatre yeux constituent la classe dont il a la charge cette année. Il ne se sentait pas à l’aise de rencontrer en une fois tant de monde, mais il l’est encore moins lorsqu’il remarque le calme et la curiosité portée à sa venue. Il fixe ses pieds, puis le bureau et la chaise dont il se rapproche au plus vite. Il pose sa valise et sort de la poche de son pantalon une petite feuille qu’il entreprend de lire, les mains tremblantes et la gorge abrasée. Il se promet d’essayer quelques contacts visuels durant son discours et de, surtout, ne pas tirer sur ses bretelles. Il se souvient très bien de l’incident que cela a engendré la première journée de l’an scolaire dernier.

Professeur Fricounet – Bonjour jeunes gens. Je suis le professeur Fricounet. Je m’occupe de l’enseignement moral et civique. Cette année, j’ai pu obtenir une dérogation auprès de la direction du lycée pour un projet intergénérationnel baptisé Gen-X. En effet, quoi de mieux que de tenir compagnie à une personne âgée durant une heure par semaine ou plus, pour acquérir des valeurs de savoir-vivre, de solidarité et de respect ? Ne pas répondre à la question, car elle est rhétorique. Merci. Pour cela, vous allez former des ensembles de quatre, comme bon vous semble, puis un membre de chaque groupe piochera au hasard un nom dans la boîte ci-présente pour être assigné à un individu. Je demande le silence…

Le professeur relève la tête, confus. Son cou est raide.

Professeur Fricounet – Excusez-moi. Je ne m’attendais pas à tant de calme. Je poursuis…

Il regarde à nouveau son public.

Professeur Fricounet – Oh, ce sera ma foi très vite fait. Léonard Fricounet. Voilà !

Entendre et voir un enseignant parler de la sorte est très déconcertant, mais cela n’empêche pas les élèves de murmurer leur réticence à l’égard d’un tel projet. Le professeur ignore les bruits de la salle et prend une craie. Il se met à tracer un tableau sur le tableau. En tête des colonnes, il inscrit « Groupe » et « Senior ».

Professeur Fricounet – Oui… Excusez-moi. Nous ne disons plus « personne âgée » de nos jours, mais « senior ». Cela est plus respectueux. Appliquons donc cette bonne pratique dès aujourd’hui pour être de meilleurs êtres.

Un petit malin trouve utile de dire que lui est resté sur « Ieuv », ce qui déclenche divers rires et sourires dans la classe. Bonjour, le respect.

Emma, assise à côté de Silène, lui confie discrètement que ce projet X n’a pas l’air d’être une blague. Son amie approuve de la tête, assez contrariée à l’idée de devoir aller chez une personne inconnue. Elle lui fait tout de même remarquer que le programme s’intitule « Gen-X ». Elle a écouté attentivement et le stress du professeur s’est propagé en elle. Emma lui rétorque que cela importe peu et qu’en revanche, ce qui compte, c’est qu’elles fassent partie du même groupe. À cette déclaration, Silène approuve plus fortement. Elle préfère ne surtout pas entrevoir d’autres possibles.

Une fille met alors fin à toutes les voix basses et mentales de la classe en s’adressant directement au professeur. D’aplomb, elle lui demande sans détour pourquoi le projet se nomme ainsi. Léonard Fricounet s’affole à l’appel de son titre, mais se pousse à reprendre son calme. Les questions ne sont en général pas un problème pour lui. D’ailleurs, si dans la vie toutes les discussions pouvaient se faire en questions et réponses, cela l’arrangerait. Il inspire et expire en pleine conscience, une fois.

Professeur Fricounet – C’est un nom que j’ai inventé. « Gen » pour génération et « X », parce que les générations vont se croiser.

L’élève à l’origine de cette réponse reste perplexe et renchérit en demandant ce que peut bien signifier « se croiser ».

Professeur Fricounet – Silence. Y a-t-il des groupes déterminés ? Veuillez lever la main. Bien cordialement.

Ce qu’il y a de bien avec les questions, c’est qu’il n’est pas toujours nécessaire d’y répondre. Raphaël se tourne sur sa chaise pour communiquer avec Mathis à mi-voix, son ami depuis hier, lorsqu’ils se sont rencontrés par hasard dans la salle commune de l’Internat pour jouer au football de table. Il lui demande une faveur consistant à aller voir Silène et Emma pour constituer leur groupe. Mathis n’est pas étonné. Il sait déjà que Raphaël en pince pour Emma. Quant à Silène, il ne la connaît en fait que très peu. L’an passé au collège, Mathis a suivi la même option d’arts plastiques que Silène, pour les trois dernières séances, et ils n’ont pas eu l’occasion de se reparler depuis. Il est cependant content de la retrouver dans sa classe et il se lève pour se diriger vers les filles. D’autres élèves prennent également leurs dispositions pour se réunir. Raphaël est soulagé. Il n’est pas du genre à avoir peur du contact social, au contraire, mais quand il s’agit d’amour, c’est pour lui une affaire nouvelle. Il pense pouvoir perdre facilement ses capacités et passer pour un idiot.

Le professeur se sent soudainement satisfait d’avoir pu lire sans interruption ce qu’il avait à dire et de remarquer que le message est compris. Il relâche désormais un peu de pression.

Professeur Fricounet – N’hésitez pas à vous déplacer pour discuter entre vous. Cela permettra d’aller plus vite. La communication est le point de départ à la résolution de tous les conflits.

Mathis – Salut, Silène. On se met ensemble pour le projet X ?

Silène consulte Emma du regard. Elle trouve déjà souvent malcommode de prendre une décision pour elle seule, alors quand d’autres personnes sont concernées, la situation devient très compliquée pour elle.

Emma – Pour moi, c’est OK. Pourquoi pas ?

Mathis – Est-ce une question rhétorique ?

Emma – Morte de rire !

Intérieurement, comme extérieurement d’ailleurs, Emma n’est pas vraiment joyeuse. Elle se sent plutôt jalouse, ce qu’elle n’apprécie pas et cherche donc à cacher. Mathis ajoute qu’il y aurait aussi Raphaël avec eux et que le groupe serait ainsi au complet.

Emma – Toujours OK.

Silène confirme simplement en rosissant et souriant. Il faut dire que durant toutes les vacances d’été à la plage avec ses parents et son petit frère, elle a pensé à Mathis. Quelques poèmes sont même nés de ses sentiments.

Emma – Professeur, par ici !

Professeur Fricounet – Oui, j’écoute.

Emma – Silène, Mathis, Raphaël et moi, Emma.

Léonard Fricounet s’empresse de faire figurer cette longue liste dans sa première case, trop étroite.

Professeur Fricounet – Très bien. Je vais juste revoir cette séparation pour la mettre un peu plus loin. Servez-vous dans la boîte, je vous prie. Note de rappel : ne tirer qu’un seul papier par groupe.

Emma se lève et se dirige vers la pioche.

Emma – Note assimilée.

Professeur Fricounet – Dépliez, dépêchez. Quelles lettres sont sur le papier ?

Emma – M. A. D. A…

Professeur Fricounet – Excusez-moi pour cette imprécision linguistique. Vous ne devez pas énoncer les lettres une à une, mais les mots en entier.

Emma – Pas de soucis ! Madame Irina Iemelianov, 89 ans, 4 rue du Pieu-Mosolé à Baréton-les-eaux.

Professeur Fricounet – Comment épelez-vous son nom ?

Emma – Tenez.

Professeur Fricounet – Merci. Bien. Pour précision, tout humain n’est pas simplement réductible à son patronyme, à son âge ou encore à son adresse. Mais la concision est requise lorsque l’on souhaite que tout rentre dans ces fichues cases. D’autres groupes ?

Lorsque Emma rejoint sa place auprès de Silène et Mathis, Raphaël l’apostrophe pour la première fois. Elle vient de prononcer son prénom à haute voix et cela lui a donné assez d’élan pour l’aborder.

Raphaël – Salut, Emma. Cool que nous soyons dans le même groupe !

Emma – Oui, enfin, ce n’est pas comme si on se connaissait.

Raphaël – C’est vrai…

Emma est fréquemment très directe et parfois dure. Elle ne prend conscience de ce qu’elle dit bien souvent qu’après que les mots soient sortis. Là, c’est au visage de son camarade qu’elle s’en aperçoit.

Emma – Mais ne t’inquiète pas, je n’ai rien contre, hein.

Raphaël lui retourne son sourire final, rassuré.

Une fois les sept autres groupes formés, le professeur consulte sa montre.

Professeur Fricounet – Que chacun regagne sa place. Il nous reste juste assez de temps pour détailler les modalités. Merci.

Léonard Fricounet extirpe alors à nouveau sa feuille de sa poche pour en consulter le verso.

Professeur Fricounet – Sortez votre nécessaire d’écriture. Voilà. Tout d’abord, l’heure de cours hebdomadaire prévue en ma compagnie est annulée jusqu’au jeudi neuf mai exclus. Ce jour-ci, nous ferons un compte rendu. Entre-temps, il vous sera possible de converser électroniquement avec moi-même, pour toute question ou besoin d’aide, en naviguant dans la section « Contacts » du portail Internet du lycée. Je réponds aux messages reçus avant dix-sept heures cinquante-neuf le jour même, si j’estime que ma rédaction sera d’une minute. Je vous laisse saisir la logique applicable à d’autres cas… Passons à la partie la plus importante. Chaque groupe devra, une fois par semaine, à savoir les mardis après-midi, se rendre au domicile du senior. La visite peut durer le temps qu’il convient. Cependant, une heure complète semble être une valeur correcte. Il faudra être courtois, poli, respectueux et interagir avec bienveillance. Notez qu’un sourire donné est un sourire rendu. Des questions ?

Emma – Professeur, Baréton-les-eaux, c’est plutôt loin, non ? Comment allons-nous y aller ?

Professeur Fricounet – Bonne remarque. J’allais oublier d’en parler. Les élèves en lien avec madame Iemelianov seront en ma compagnie pour les trajets. Les autres groupes étant assignés à une per… à un senior de la ville, il leur sera aisé de prendre le bus, le tram, la bicyclette ou même les chaussures. Pour les personnes que j’emmène, je vous propose de nous retrouver à seize heures devant l’école. Cela vous convient ?

Emma – D’accord. Et comment irons-nous ?

Professeur Fricounet – Avec mon véhicule individuel. J’ai fait le voyage hier et cela m’a occupé un peu moins de vingt minutes à l’aller. Il y aura de l’espace et durant le trajet, vous pourrez faire vos devoirs ou encore des choses sur vos téléphones comme savent le faire les jeunes de nos jours. D’autres questions ?

Léo – Comment faire si le « senior » meurt quand on est chez lui ?

Professeur Fricounet – Comment feriez-vous si votre grand-mère mourait quand vous êtes chez elle ?

Léo – Justement, je ne sais pas.

Professeur Fricounet – Vous m’en voyez désolé. Merci. Une autre question ?

Mathis – Que devrons-nous faire chez cette personne ?

Professeur Fricounet – Excellente demande. Cela dépend du senior. S’il vous fait une forêt noire, vous la mangez. S’il veut jouer aux cartes, vous jouez. S’il a besoin de vous raconter sa vie, vous l’écoutez. Vous n’aurez pas à nettoyer sa maison, l’aider à se déplacer, faire la cuisine ou un bain de pieds. Les seniors du programme sont tous soit autonomes, soit déjà assistés par des gens dont c’est le métier. En sommes, vous allez les voir pour qu’ils puissent passer une petite heure agréable chaque semaine. En attente de vos nouvelles, mes salutations distinguées.

Mathis remercie sans conviction le professeur. Il ne sait pas si cela est approprié. La réponse lui semble cependant convenable. Léonard Fricounet fixe à nouveau sa montre et tapote sur le carreau au rythme des secondes. Plus aucune question n’est permise. La cloche sonne.

Professeur Fricounet – Je vous dis à dans neuf mois : à dans neuf mois. Et surtout, joyeux Gen-X !

Dans le brouhaha du couloir se laissent entendre des phrases comme « Pour t’en souvenir, pense à une génisse » ou encore des « Bien cordialement » et autres imitations moins bien que nature. Les élèves sont pour la plupart moqueurs, mais au fond, se rendent-ils compte du bon moment passé aux côtés de l’incroyable professeur Fricounet et de l’expérience riche de sens qu’ils vont vivre ? C’est une question rhétorique. La semaine de rentrée en seconde se termine ainsi et chacun retourne chez lui.


Mardi, seize heures. Du début du lundi à ce moment précis, aucun des élèves de la classe n’a eu le temps d’échanger beaucoup sur ce drôle de projet intergénérationnel. Emma, Mathis, Raphaël et Silène se retrouvent pour la première fois tous les quatre, devant leur école. Comme ils ne savent pas vraiment quoi se dire, Mathis propose de faire face à l’établissement pour recueillir les avis des membres de son groupe. Les filles passent leur tour. Raphaël commente : du crépi blanc, d’ailleurs plus très blanc, des portes et des fenêtres grises avec des barreaux, une cour de bitume et encore des barreaux, pour la délimiter. Le verdict est sans appel : tout cela est affreusement moche. Mathis, en grand spécialiste, confirme. Ces deux-là voguent vraiment sur les mêmes ondes.

Professeur Fricounet – Bonjour, jeunes gens. Excusez-moi.

Le groupe réagit à l’interpellation. Léonard Fricounet s’assure que ses élèves sont prêts à partir avant de les amener à l’emplacement où son véhicule patiente. Durant la minute suivante, un silence malaisant persiste, personne n’osant rompre le calme. Mathis amorce alors une conversation légère.

Mathis – C’est laquelle, professeur, votre automobile ?

Professeur Fricounet – C’est celle qui est juste là, à côté de la rouge.

Cette réponse est remarquable. En effet, le seul véhicule présent à côté de la voiture repère est un minibus tout droit sorti des années 60 avec une aura hippie exceptionnelle, contrastant fortement avec son propriétaire vêtu de velours noir en haut et de velours marron en bas. Mais à ce propos, un détail de la tenue du professeur a jusque-là échappé à Mathis : ses chaussettes à motifs de fleurs souriantes sur fond psychédélique. Celles-ci dépassent suffisamment pour que désormais, le garçon ne voie plus qu’elles. Pourquoi annoncer que c’est le véhicule à côté du rouge plutôt que de dire que c’est celui qui illumine d’un coup sa journée ? C’est un mystère. Mathis répond simplement que c’est trop cool, tandis qu’Emma a peur d’avoir honte devant les lycéens qui passent par là, que Raphaël trouve ça stylé et que Silène pense principalement au trajet, bien qu’elle soit loin d’être insensible à toutes les couleurs de la carrosserie. Celles-ci permettent d’oublier la précédente vision morne des bâtiments dans lesquels elle va rester au moins trois ans. Le professeur déverrouille la porte arrière et la fait coulisser. Deux banquettes confortables, séparées par une table, invitent les élèves à s’installer. Léonard Fricounet trouve opportun de faire les présentations, au risque de passer pour plus fou qu’il est.

Professeur Fricounet – Charfonce, les élèves. Les élèves, Charfonce.

Initialement, c’est dans le vide que ces mots tombent. En son for intérieur, le professeur s’enfonce. Pourquoi diable fallait-il qu’il fasse pareille annonce ? Cependant, la réponse lui est évidente. Son combi est sans conteste son meilleur ami. Aléas climatiques et long parcours kilométrique tissent des relations et pensant n’avoir personne à qui parler, c’est toujours à Charfonce qu’il se confie.

Mathis – Enchanté, Charfonce !

Un rideau sépare les places avant de l’espace de vie. Le professeur s’installe à son poste et démarre le moteur, finalement content. Le ciel, couvert de gros nuages, devient sombre et laisse perler les premières gouttes. Silène trouve l’ambiance particulièrement mystérieuse. La lumière filtrée du pare-brise, à travers le voile orange, apporte de la chaleur, tandis que les vitres latérales révèlent du froid et même une certaine mélancolie. Elle tente de saisir cette émotion par le prisme de son propre univers. Cette escapade s’annonce plus forte qu’une simple sortie scolaire à la rencontre d’une vieille dame. Charfonce quitte sa place réservée pour la destination de Baréton-les-eaux.

Emma – Sérieux ? « Enchanté, Charfonce ! ».

Mathis – Oui, c’est amusant tout ça.

Emma – Si tu le dis…

Raphaël – C’est pas un nom pour un van !

Mathis – Vous réalisez quand même que nous nous apprêtons à vivre une aventure formidable, non ?

Emma – OK, OK. Je comprends pourquoi Silène t’apprécie.

Cette réflexion met suffisamment mal à l’aise Silène pour qu’elle la relève en se tournant davantage vers la vitre. Consciente de son indélicatesse, Emma prend la main de son amie sur l’assise pour la serrer, exprimant ainsi ses excuses. Mathis s’adresse alors à Silène.

Mathis – Au fait, cet été, j’ai écouté pas mal de fois l’album que tu as mis sur ma clef USB.

Silène se tourne vers lui. Ravie, elle lui demande s’il a apprécié et quelle est sa musique préférée. Il adore le post-rock atmosphérique, mais pour lui indiquer sa piste favorite, c’est difficile, car elles lui plaisent toutes. Elle confirme. En effet, choisir est compliqué, surtout quand il n’y a pas à le faire. Le garçon approuve.

Mathis commence à ressentir une légère fatigue. Cela doit être dû à tous les efforts entrepris pour rendre l’ambiance plus agréable, à la chaleur qui s’installe, mais aussi aux ballottements du van sur la voie et aux bruits assourdis qu’il contient. La pluie s’intensifie. Raphaël tire un peu le rideau qui n’a plus rien à filtrer, pour voir si à l’avant tout va bien. Les balais chassent l’eau à pleine cadence, ce qui suffit à peine, et Léonard Fricounet s’essuie le front avec son avant-bras, tout en fixant la route de façon très vigilante. Il faut désormais parler fort pour se faire entendre.

Raphaël – Pas trop compliqué pour conduire, professeur ?

Professeur Fricounet – J’apprécie la pluie, mais là, c’est la tempête ! Si vous avez trop chaud, il y a une petite trappe dans le meuble haut, avec les oiseaux sculptés. Elle permet d’amener de l’air tout en laissant l’eau dehors.

Raphaël – Bonne idée. Je vais l’ouvrir un peu.

Professeur Fricounet – Surtout, tenez-vous bien à tout ce que vous pouvez s’il vous faut enlever votre ceinture.

Aucun élève n’a préalablement pensé à s’attacher, mais tous y remédient. Raphaël est suffisamment grand pour atteindre la trappe sans se lever. L’air entre alors et rafraîchit agréablement la cabine, ce qui fait beaucoup de bien au professeur. Aussi, il se trouve beaucoup plus à l’aise que dans une salle comble où l’attention est portée sur lui. Hormis la présence des adolescents chez lui, il se sent dans son élément naturel.

Professeur Fricounet – Vous pouvez m’appeler Léonard, vous savez. Je préférerais.

Raphaël – Pas de problème… Léonard ! Moi, c’est Raphaël.

Raphaël s’amuse de cette discussion. C’est bête à dire, mais il apprécie d’avoir un professeur à la fois sympathique et atypique. Emma et Mathis le regardent dans toute sa satisfaction, lui et sa tête rigolote.

Raphaël – Eh bien quoi ? C’est vrai, non. Moi, c’est Raphaël !

Cette réaction enclenche une explosion de rires de ses deux camarades, ce qui sort au passage Silène de ses songes et de sa contemplation des arbres qui filaient sous ses yeux. Elle apprécie ce genre de moment où elle ne se voit pas forcée de participer aux discussions.

Ces rires sonnent aux oreilles du professeur comme de la moquerie. Il n’est généralement pas très à l’aise en compagnie de ses congénères, car il est en fait très peu sûr de lui et de la façon dont peuvent penser les autres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a décidé de proposer ce projet à l’administration du lycée. Pour lui, il ne fait aucun doute que de réunir les générations, plutôt que de les séparer comme le fait la société actuelle, peut apporter une meilleure manière de vivre à tous. À ce moment, il n’en a pas conscience, mais Gen-X agit déjà.

Emma – T’es trop marrant !

Cette réplique touche profondément Raphaël. Venant d’Emma, elle ne peut être que bonne. Rendre visite à une vieille dame est très loin de ses préoccupations, mais passer du temps en compagnie de « l’amour de sa vie » l’enchante au plus haut point. Il trouve Emma à la fois belle, pétillante et fascinante, tandis que d’autres sont enclins à la voir superficielle. Tant mieux, car pour Raphaël, elle est bien plus que ça. Et puis, quel adolescent ne fait pas attention à son allure de nos jours ? C’est l’histoire d’un singe qui refuse les bananes… Emma est son coup de foudre. Sa façon de s’habiller un peu osée, sa voix, son rire, sa spontanéité et sa franchise, même si ça peut parfois piquer, font d’elle une personne qu’il souhaite avoir à ses côtés. Le dimanche passé, il s’était mis quelque peu à délirer sur cette scène où il allait la retrouver aujourd’hui à seize heures devant l’école. Il se voyait lui offrir des fleurs, sur son 32, un 31 amélioré. Puis il avait divagué jusqu’aux pétales de roses dans l’eau d’un bain. Il en était sorti par la simple dureté du réel refaisant surface, soit une virée chez une grand-mère qui leur postillonnera très probablement dessus.

Pourtant, quelque chose de romantique commence à naître. Emma caresse le dos de la main de Silène avec son pouce, alors qu’elle la tient toujours. Silène remarque cette inhabituelle et douce sensation, bien qu’elle soit brutalement stoppée par quelques microsecousses. Le minibus est malmené. En effet, l’orage est plus violent que ce que prévoyaient les météorologues.

Léonard – Je dois m’arrêter.

Raphaël tire le rideau. Il constate qu’il n’est plus du tout possible d’avancer. Un poteau téléphonique vient de s’abattre sous les yeux lumineux de Charfonce. Mathis apporte également son regard à la situation. Les trombes d’eau sont impressionnantes et le niveau de la rivière qui longe la route est effrayant. Il suggère de faire demi-tour, mais le conducteur s’y refuse, car la maison d’Irina est désormais bien plus proche que la ville d’où ils sont partis. Les élèves s’inquiètent et le professeur se sent oppressé par la décision rapide qu’il doit prendre, puisque dans son rétroviseur, la voie plus basse derrière eux se fait engloutir par les eaux folles.

Léonard – Il ne reste que deux ou trois minutes de trajet. Vite. Je dégage le passage et l’on poursuit notre route. Bien amicalement.

La portière claque et Léonard se précipite pour tirer l’obstacle. Mathis, proche de la sortie, le rejoint, alors que Silène lui demande de faire attention, comme en priant de tout son cœur pour qu’il ne lui arrive rien. Emma ne choisit pas nécessairement le meilleur moment pour montrer sa peine. Mais c’est ainsi, elle est impulsive.

Emma – Tu lui aurais déclaré ta flamme que c’était pareil !

Silène, à nouveau gênée et ne trouvant pas les mots pour son amie d’enfance, perd son tour de parole. Raphaël assiste en silence à la discussion.

Emma – Je sais qu’il te fait de l’effet, ce gringalet. Tu m’en as beaucoup parlé et tu es toujours rouge quand il te regarde. Mais moi, ma sirène, c’est toi que j’aime ! Et pas comme une simple copine.

Quelque chose se pétrifie aussitôt en Raphaël. Pour lui, si Emma a de l’attirance pour Silène, c’est qu’elle ne peut pas en avoir pour lui. Quant à Silène, elle se montre très surprise. C’est à ce moment précis que, dans sa tête, se collent tous les indices d’instants spéciaux avec Emma pour former la preuve de ce grand amour qu’elle affiche maintenant ouvertement. Silène bégaye qu’elle est désolée, qu’elle n’a pas compris les sentiments de son amie. Emma se sent alors en proie à deux choses : ne surtout pas blesser ou contrarier l’élue de son cœur et contenir cette bombe d’émotions plus effroyable que la situation actuelle, car malheureusement, l’amour ne semble pas réciproque.

Pendant ce temps, Mathis apporte toute son aide au professeur avec lequel il parvient à faire rouler le poteau jusqu’alors obstiné. Charfonce sera en mesure de passer. La pluie, en une violente dissonance, se déverse du ciel comme d’un goulot béant, tandis que les nuages s’entremêlent dans une furieuse arythmie. Au cœur de ce théâtre grandiloquent se dessine une scène singulière. Une effroyable masse d’eau se dresse derrière le minibus et se scinde du sol. Les deux audacieux se frottent alors les yeux pour rendre l’hallucination proie du réel. Mais non, la forme persiste encore sur leurs rétines et se mue en un orbe redoutable. C’est sans voix et choqués face à cet événement paranormal que les protagonistes se hâtent à bord du bouclier de métal et de verre, sans quitter du regard la chose qui gonfle davantage. Mathis, le visage sans pareil, tend alors le doigt vers la vitre arrière du van, entre les deux filles, ne manquant pas de tremper la table avec sa veste gorgée de ce qu’il pointe de l’index. Cependant, Raphaël ferme les paupières le plus fort possible à cet instant-là pour avouer de toutes ses forces ses sentiments.

Raphaël – Emma ! Je t’aime !

Un éclair pourfend pour la dernière fois l’espace-temps et la pluie cesse dans l’instant. La forme aqueuse se change dans le faisceau de lumière éblouissant, en une femme âgée, nue et cachant aussitôt sa poitrine et son entre-jambes d’un bras et d’une main. Seul Léonard remarque cela dans son rétroviseur de gauche. Mathis a dû fermer les yeux un bref instant et les mots de Raphaël l’ont ramené vers lui. Le professeur attrape son poncho sur le siège passager et s’élance à nouveau dehors pour couvrir la senior. Il ne rêve pas. Une déclaration d’amour passionnée vient de retentir dans sa maison et une vieille femme s’est substituée à l’eau.

Léonard – Bonjour, madame. Oh, vous êtes Irina Iemelianov. Je vous prie de bien vouloir porter cette tenue.

Irina – Vous êtes le professeur et ses élèves qui deviez me rendre visite ?

Léonard – Oui, nous sommes bien nous… Je vous ai reconnue à la photographie jointe à votre candidature. Mes sentiments distingués.

Irina – Vous êtes physionomiste. Avez-vous fait bon voyage ?

À cette question, Léonard se sent totalement abasourdi. Les adolescents se font spectateurs silencieux de la scène, plus que gênés par tant d’émotions fusant en tous sens. La vue de la dame se glissant dans l’imperméable jaune ne fait qu’ajouter à leur émoi.

Mathis – Mais enfin c’est qui, cette vieille qui sort de nulle part, juste après le déluge ?

Emma répond qu’elle n’en a aucune idée lorsque Léonard et Irina marchent vers le minibus. La porte coulissante étant restée ouverte, le professeur s’implique à nouveau dans les présentations, exactement comme auparavant avec Charfonce.

Emma – C’est vous, Irina ? Mais que faisiez-vous ici à poils et en pleine tempête ?

Léonard – N’ai-je pas prononcé le mot respect, vendredi ?

Irina – Ah ah ah, ce n’est rien.

Emma – Non, excusez-moi, le professeur a raison. J’aurais dû le dire autrement…

Irina – Je suis partie à votre rencontre, car vous étiez un peu en retard.

Mathis est très insatisfait par cette réponse et demande à Emma si elle lui convient.

Emma – Hmm… Je ne crois pas.

Irina – J’ai eu un mauvais pressentiment et je suis venue pour vous sauver.

Léonard – C’est une aimable attention, mais nous nous en sommes sortis et nous allions arriver. Veuillez accepter notre retard, chère madame.

Irina – Non. Vous seriez morts. Tous morts !

Léonard et les élèves sont étonnés. Pourquoi seraient-ils morts ? La voie est libre, la pluie a cessé et même, les oiseaux sollicitent le soleil pour qu’il brille. Chaque membre du groupe tente d’élucider le mystère qui entoure cette étrange situation. Les regards se croisent.

Irina – Vous ne comprenez pas, n’est-ce pas ?

Léonard – C’est exact. Je pense que vous êtes sonnée par le vent ou une branche d’arbre qui vous auraient tapé la tête… Mais prenez place dans le van. Les garçons, veuillez vous décaler un peu, je vous prie.

Tandis que la vieille dame entreprend la montée de la marche, le professeur trouve opportun de la tenir par le haut du bras pour simplifier son installation. Mais Irina balaye son aide d’un débonnaire revers de buste. Il laisse alors faire et prend place sur la seconde banquette de l’autobus, avec les filles, auprès desquelles il s’excuse de baigner dans son costume. Irina, inquiète et intimidée, se met à parler tout en tirant sur la matière caoutchouteuse qui lui froisse la peau outre mesure.

Irina – Je suis ce que l’on nomme une roussalka, mais n’ayez affres, d’une destinée autre. L’eau peut me constituer bien plus que vous et j’ai la manière de lui plaire. Sans ma présence pour endiguer l’onde, votre quinte serait tenue par le grand voyage. Comprenez-vous ?

Mathis – En quelque sorte, cette sphère aqueuse tout à l’heure, c’était vous ?

Léonard – Intéressant, intéressant… Une roussalka… Et vous avez retenu l’eau pour éviter que Charfonce, mon minibus, ne soit emporté dans la rivière ?

Emma – Mais quoi ? Il se passe quoi, là ?

Emma s’impatiente. Elle ne comprend absolument rien et cela la rend nerveuse et pire, en colère. Raphaël retrouve tout juste ses épaules sous sa tête. Il n’a pas eu le loisir de saisir le moindre mot suite aux siens.

Irina – Apaise-toi, ma devotchka. Je ne suis qu’alacrité. J’ai ressenti tant d’amour, en vous tous, que j’ai voulu m’en imprégner. Pour une fois, j’espère juste que l’on m’accepte telle que je suis.

Raphaël – Mais qui êtes-vous ?

Irina – Je vais le dire plus simplement. Je suis une créature d’eau douce pouvant arborer diverses formes. J’ai choisi la vieille femme pour répondre à votre projet d’éducation civique et je me suis portée volontaire dans l’espoir de me retrouver en compagnie humaine de temps à autre. Je viens de vous sauver d’une noyade sans fin heureuse pour trois d’entre vous et d’une électrocution vive et funeste pour les deux autres. De par les flux, j’ai perçu vos cœurs purs et je vous ai demandé si vous voulez de moi pour amie… Pleure, petite, je vois ton chagrin.

À ces paroles, Emma fond en larmes. Elle couche son visage entre ses mains sur la table et, en totale synchronicité, Irina, Raphaël et Silène s’avancent pour lui caresser les cheveux ou le dos. La lycéenne d’ordinaire inébranlable sanglote intensément. Raphaël l’aime et elle refuse qu’il ressente ce vide dans la poitrine qui la fait tant souffrir. Silène est tout pour elle. C’est alors qu’Irina se lance dans un monologue vibrant et dont les paroles glissent comme des rivières sereines au sein de Charfonce, chargé d’émotions et de lumière qui revient en douceur.

Irina – Sentez-vous ? L’amour est partout ici. Il est innocent et sincère. Il s’épanouit dans le don de soi, dans la générosité de l’âme et cela, même lorsque les réponses ne sont pas celles espérées. Il est désintéressé. L’amour peut apparaître sous une infinité de formes. Il est là quand des joues s’empourprent, là quand nous nous révélons, là quand le soleil revient, là quand l’ambiance est suave et s’il n’est pas réciproque, toujours il est.

Bien que cela soit peu compréhensible pour Emma, elle ressent du réconfort. La synesthésie l’apaise et atténue son chagrin. Elle se sent aimée.

Irina – Bon. Et si nous allions chez moi, maintenant ? Mon petit nebelung attend vos câlins.

Emma essuie son visage et tout en relevant la tête, elle demande qui est Nebelung. Irina lui répond, amusée, que c’est son chat. Enfin, plus exactement que c’est le chat qui vit avec elle. Elle précise aussi que « nebelung » n’est pas son nom, mais sa race et qu’en y pensant, cela pourrait le nommer merveilleusement bien. Léonard a quant à lui était très touché par l’ode à l’amour d’Irina. Il lui fait un sourire qu’elle lui donne en retour avant de sortir pour rejoindre le volant. Le silence s’installe dans le véhicule, mais cette fois, aucune gêne ne vient perturber quiconque. Plusieurs dizaines de secondes passent lorsque Raphaël s’adresse à Emma.

Raphaël – Je peux te faire un massage ?

Emma répond oui dans un petit éclat, surprise et contente. Le garçon se détache et se met à côté d’elle. Silène, de l’autre côté d’Emma, lui prend la main et la caresse comme l’a fait Emma pour la première fois tout à l’heure.

Silène – L’amour est bien réciproque. Tu sais, je t’aime aussi ma chouquette. Je ne nous vois pas vivre un jour séparées.

Emma – Mais… Et Mathis ?

Mathis ne comprend pas en quoi il est impliqué, mais il sent le visage d’Irina se tourner vers lui, alors il la regarde et elle lui fait un clin d’œil complice.

Silène – Mathis… Je pense l’aimer également, c’est vrai.

Côté conducteur, tout est désormais parfaitement audible. Léonard verse une petite larme, ému par cette jeunesse expressive, tout en se garant en épi là où Charfonce et lui avaient repéré les lieux la veille. Silène s’aperçoit de sa déclaration à voix haute devant le garçon et ne peut absolument pas lui redire en face, puisqu’elle se retrouve à ouvrir la fenêtre de sa chambre pour contempler le jardin. Mathis lui confie alors qu’il l’apprécie, mais il ne sait pas si elle l’entend. Aussi, il veut bien qu’ils fassent davantage connaissance. Il n’est pas très certain de prononcer les bonnes paroles et se tourne vers Emma pour voir sa réaction, s’assurer que ses mots ne la contrarient pas. Elle semble très heureuse.

Léonard – Nous y sommes !

Irina – Oui. Que tout le monde descende.


La demeure d’Irina se montre assez vétuste. Certaines salles sont condamnées et la toiture laisse supposer qu’une pluie identique à celle d’aujourd’hui peut ébranler l’entièreté de la bâtisse. Heureusement qu’un tel événement n’arrive pas plus d’une fois par siècle. À peine la porte est-elle ouverte, que le beau chat d’un poil long gris-bleu se jette dans les jambes des invités. Ses ronronnements poussent tout le monde à s’intéresser à lui, à le lisser et l’ébouriffer. Irina s’aperçoit, à l’horloge comtoise, que l’heure de la tisane et des biscuits est révolue. Elle propose donc à ces hôtes de rester pour le souper, ce qui, après quelques autorisations parentales et une grande envie de faire perdurer le moment, est volontiers accepté. Chacun apprend à découvrir les personnes alentour, partageant le bortsch cuisiné avec amour. Silène se surprend à improviser une soirée pyjama chez elle ce samedi, pour ses trois camarades. La vieille dame se métamorphose alors en jeune fille, sous leurs yeux, pour en faire partie. Elle est plus que la bienvenue à se joindre à eux. Entre elle et le professeur se développe aussi une magnifique amitié, offrant la perspective d’agréables voyages en minibus. Le projet Gen-X est de loin la plus belle initiative de Léonard Fricounet.

Fin