La grandiosa utopio

Ma nouvelle Délicieuse incertitude qui tisse la mesure

Nouvelle écrite en quatre jours, début octobre 2022.

Délicieuse incertitude
qui tisse la mesure

Les mots sont durs. Les mues sont mortes. Les voix sont sures. Les maux se tordent. Non ! Non, non. Les bulles perdurent, les poissons dorment. Voilà. Les bulles perdurent, les poissons dorment. Ces cérémonies à la fois cérébrales et spéciales qui s’éprennent de notre tête abrègent fréquemment nos nuits. Le sommeil s’évapore et laisse place à tant de bruit que le cerveau seul ne suffit pas à tout contenir. Kvar, tri, du, unu, deux, trois et quatre. Alors, nous ouvrons nos yeux et tout s’échappe.

Loin au-dessus de notre corps allongé ondulent les feuilles. Le gré du vent semble très bon pour elles. Elles sont comme des milliers de poissons brillants de couleurs et frétillants de vie. Mais c’est étrange, nous ne sommes plus dans notre lit. Il s’agit certainement d’un cas très doux où nous détricotons l’irréel pour entrevoir le faux, bien qu’entre réel et vrai, nous ne fassions plus grande distinction. Pensons-nous qu’il faille parcourir cette aquatique forêt ? Nous allons essayer.

De l’automne, si singulier le vent fait chanter les arbres. Concerto de carillons pour coruscants champignons. Des rouges, des jaunes, des marrons, des poudrés, des ceinturés, des boules et des trompes, de tous goûts, de tous âges. Nous en convoitons un en particulier, le seul qui feint notre existence. Il n’est pas comme nous. Lui est relié à tout. Il sait tout. Cela se voit à sa tête sophistiquée. Il ne recule devant rien, même pas face à notre main qui simule sa prise. Nous en avons peur. Il est naturel d’être effrayé. Résignation. Nous ne savons pas si la mort nous attire ou s’il s’agit d’un simple plaisir. Et nous n’avons pas faim au point de le savoir. Alors, nous en restons là.

Les tiraillements entre agir et fléchir, ce besoin incessant de choisir. Ne pouvons-nous pas simplement faire comme il faut, sans questionnements ? Nous n’aspirons qu’à la vacuité, mais de telles pensées attisent en nous la colère. Un conflit de plus. Vivre est accepter la succession de défis qui se présente à nous.

Hors attention, nous trébuchons par chance, dans une flaque d’eau. Il y a un nombre de petites choses ici. Un insecte avec comme des ventouses en guise de pieds encaisse les vagues de ses fines jambes. Un lombric se tortille dans la boue. Il pourrait être nous, mais il ne l’est pas. Nous l’observons. À quoi pense-t-il ? C’est indiscret. Gardons l’interrogation en nous. C’est un secret. Nous découvrons aussi des bulles jouant avec des pièces végétales. De l’index innocent nous participons de quelques tourbillons. C’est beau. Les photons reflétés chatouillent nos narines.

Puis craque une branche et le ciel nous assombrit.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Le sommeil ne nous a pas réparé. Sommes-nous obsolètes ? Nous sommes fanés. Voyons notre main se perdre dans le trouble et la bête surfer. Nous divaguons. Dans une habile circonvolution, nos yeux fuient. Du phare, sur la mer, nous scrutons la tempête. Le bruit est sourd comme dans l’antre d’un coquillage et les bâtiments se heurtent, prennent les profondeurs. Nos neurones se meurent. Ça nous abîme.

Où vont nos pensées ? Où vont nos idées ? Qu’advient-il de notre identité ? Notre mémoire est volatile sans grimoire. Nous écoutons avec recul les voix qui s’emballent en redondances, cycliques. Il nous faut spontanément briser la symétrie. Catalepsie.

Nous descendons la tour. Ça tourne. Les portes de nos paupières s’entrouvrent. Un nouveau jour s’installe. Alités dans notre chambre ; grâce, nous sommes à l’ancrage. Grâce ? Non. Bien sûr que non. Le plafond est de polystyrène et les néons sont aveuglants. De l’autre côté du hublot, seuls vivent des fous. Pouvons-nous croire que des estomacs délabrés résistent à une discussion poétique ?

Bonjour. Je suis un champignon coruscant.

Se couper de la nature, ne pas être entier. L’unité est le Tout. Oui, nous le savons. Tout champignon est magnifique, même celui qui tue. Tuer, c’est mourir. Nous vous louons des intentions que vous n’avez pas. Vous ne m’ignorez pas. Vous ne me haïssez pas. Bonjour. Je suis un humain coruscant.

Les bancs de feuilles dans la stratosphère m’apaisent. Les algues courent vers le jour, là où tous les poissons sont arc-en-ciel. À la lune ce soir de m’en remettre. Sous sa bienveillance, je somnolerai, tendrement. Votre amour fera ma patrie. Porté par vos racines, plus jamais grévé, je m’émerveillerai. Enfin je m’éveille.

Hier était dramatique. Aujourd’hui est OK.