La grandiosa utopio

Recueil de courts textes

Cette page regroupe mes courts textes littéraires et poétiques que je souhaite conserver et qui n’ont pas leur place ailleurs. Elle permettra également d’héberger les prochains. Certains proviennent d’un défi Souffle Musical, et sont donc liés à une musique.

An 2021

Électricité

Tungstène étoilé, de pétrole j’ai rêvé.

Les cieux pour océans, d’un amour nous voguons. Nimbés d’étoiles, liés au firmament, même sans repère, l’ascension. À gauche, l’astre lointain rend chatoyante, à droite, ta joue. Tes lèvres comme tes yeux, humides, luisent comme autant de constellations, empruntent mon attention; des mondes inexplorés, la sensation d’aimer, le pouvoir d’œuvrer. À travers toi, je veux tout voir, tout savoir. Me laisseras-tu passer ? Le temps n’est qu’espace, tout m’est possible. Un seul mot de toi et nous nous laissons, à l’infini. Dans ma main tes phalanges, des picotements, un scintillement. Ta chevelure d’ange gravit les strates, plus céleste que nous; l’électricité l’anime à merveille. Elle s’élève. Je m’éveille.

Adieu caravelle sans voile et sans ancrage. Naufragé, où suis-je, qui suis-je ? Une épaisse brume d’or saumonée, un couloir venteux, une marche à contre-courant. Je te cherche. Ce n’était pas un mirage. Tu n’étais pas qu’un visage. Loin les amas grouillant de vie, les terra formations en ébullition. Mes planètes, toutes exosquelettes. Alors je te cherche. Je te cherche derrière le sage, derrière la page. Puis, lorsque mon environnement se ressère, qu’il passe de cage à sarcophage, un homme revêt des bouts de ta chair. Ton dos, ta poitrine, tes bras et tes jambes sous ecchymoses ne sont plus toi. Tu m’es interdite.

Inspiration : l’un de mes anciens poèmes, Electricity d’Anathema, les musiques de Timecop1983 et de Dead Astronauts.

An 2020

*

Celui qui panse la vie qui file, celui qui admire le ciel en fuite, celui qui de tâches constelle ses toiles, celui qui d’un vers façonne un sourire, un visage d’enfant aux prémices d’une intrigue ou les sillons d’une peau qui retourne à l’eau, n’est finalement que pluie fine et douce, rideau délicat devant la lumière, diffractant, réfractant, magnifique.

Coquille

Le jour se levait à mes pieds, sur la rosée. Une pensée s’ouvrait au milieu des herbes hautes et des excavations minérales. Je mis mon casque antibruit pour y entendre la mer. Il y avait encore des bisons sur la ligne de départ, des coquillages à l’horizontale et des poissons avertis. Tout allait bien. Puis, les acclamations tonnèrent lorsque le casque servit. Les sifflements, les cris de haine, les parfums rances. Inatteignables. Je gardais en mon fort intérieur tous mes bonheurs. Le pont-levis ne se baissait plus. Aube épuisée, bisons sur ligne de départ, coquillages à la verticale et poissons partis. Allongé sous la surface, un regard vers le fond, rongé par les eaux. Cargos au large. Vie en marge.

Ces doux étés sur la planète Vénus

Le soleil filtre à travers la grande bibliothèque. J’admire le vacillement de la poussière dans les cordes de photons. Je sens la chaleur de l’étoile sur ma joue ; douceur fragile. Je lève le bras et, du bout des phalanges, caresse les raies. Des ions s’en extraient et le son naissant, d’une beauté infinie, se fraie un chemin par mon nombril pour atteindre mon île. Je me lève, amène mes cheveux sur mes seins, recueille quelques mots de la veille ; « onde », « éther », « azur ». Je passe le pœcile, effleurant de mes pieds nus la laine soyeuse. La musique de lumière ondule à travers moi, docile, éthérée, teintée d’azur. Cela m’éveille un peu plus à la beauté des choses. Je m’en émeus. Les longues fenêtres en arcs brisés, dotées de fins croisillons d’or, offrent l’éternelle vue sur les nuées scintillantes. J’ouvre l’une d’elles, inspire profondément l’air pur et frais, succombe aux senteurs du chèvrefeuille en fleur. Ainsi dans la volupté, débute ma journée.

Un sphinx gazé quitte la corolle, se fraie un chemin parmi les tiges volubiles, se pose sur mon poignet. Lui aussi est parfumé. Je le regarde. Il me regarde. Il s’évapore l’instant suivant dans l’astrale, m’invitant à la danse, une danse sur les nuages, une danse inertielle avec pour seuls appuis les molécules, les phéromones, les perles d’eau tiède dans lesquelles je m’éclipse gracile, jusqu’aux chevilles.

Peinture d'une bibliothéque boisée dans les nuages, à l'aube.

Inspiré par la musique Quelle Dolce Estate Sul Pianeta Venere de Baffo Banfi.

Oppression

Le bal perdure. Je tente de m’éloigner ; il se rapproche. J’essaye encore, mais il revient. La foule m’oppresse. Je me presse. Des danses sans cesse, un calvaire sans verre, la folie sans ivresse. Eux boivent, pourtant. Vers là-bas. Non. Une grosse femme m’attrape le bras. Elle rigole. Elle veut me voir suffoquer dans ses parures, me faire tomber comme un fruit mûr, piétiner mon cadavre de ces souliers débordants de bourrelets sous collants. Elle, comme tous les siens, qu’ils partent. Partez ! Je résiste, tire mon corps vers l’arrière. Toutes mes forces y passent. Je trépasse. Les notes au piano se font sons de clavecins. Où suis-je ? Un candélabre s’illumine dans un flot de brume, le noir tout ailleurs. Je m’en approche, le saisis à son axe. Il m’offre la vision d’un grand escalier aux marches blanches, sans fin. J’observe, porte attention aux motifs du chandelier. Il n’en a pas. Son tronc, un tibia ; ses branches, des phalanges ; son style, macabre. Je le lâche. Les rires reviennent. Je martèle l’escalier. La mélodie fugue. Des pas de plus en plus lourds, de plus en plus graves, de plus en plus maladroits. Je chancelle sur une noire. Elles sont toutes noires. Tout est noir. J’abandonne et enfin, la musique s’éteint.

Inspiré par la musique Douze études dans tous les tons mineurs op. 39 de Charles Valentin Alkan, jouée par Yeol Eum Son.

Charme

Un envoûtement particulier. Il m’a suffi de plonger le regard dans le sien. Ses yeux ne sont pas de pupilles, d’iris ou de reflets. Ils sont un voyage, une introspection, une cité nabatéenne mentale, Pétra. Je peux m’y promener, m’y réfugier et tantôt me laisser charmer. Je fredonne sur un air joué au sitar, sans joueur, sans sitar et dont j’ai oublié les racines. Je sais que cette sérénité a un prix, tout en a un. Pour cette fois, je laisse aller. In Shaa Allah. Je regarde le sable bleu dont certains grains brillent face à la lune. Un scorpion s’approche tandis que le sol, doux et chaud, m’appelle.

Inspiré par la musique The Astounding Eyes Of Rita d’Anouar Brahem.

Amélie

À peine la porte ouverte, Amélie hume l’air aux parfums délicats de muguet, de rose et de chèvrefeuille. La vitrine du fleuriste, au rez-de chaussé de l’immeuble où elle vit, se montre toujours si accueillante au printemps ; un petit bout de nature en plein Paris. Les carreaux cadrés de croisillons vert sont vêtus de grimpantes. Le rebord se voit couvert de bulbeuses aux couleurs éclatantes. Tulipes, dahlias, orchidées, anémones, amaryllis attirent tous les butineurs des environs. Les cloches de Montmartre sonnent dix heures lorsqu’Amélie s’installe sur le banc de l’autre côté de la rue. Elle sort de son sac un verre, le jus d’oranges qu’elle vient de presser et s’en sert un peu. Elle porte ensuite le liquide à ses lèvres citadines, aussi rouges que sa jolie robe, puis savoure l’instant. Tout en haut sur les tuiles argentées d’une lucarne, un merle chante pour elle. Alors l’inspiration lui vient. Amélie prend son grand carnet, ses pigments, sa palette et ses pinceaux. Elle dilue et le papier commence à boire ses caresses.

Inspiré par la musique Les deux guitares d’Opa Tsupa.

Dévotion

Le rayonnement des étoiles convergeait. J’en recevais toute la lumière par un vitrail. La vierge Marie se grava alors à jamais sur mes rétines. L’univers, lui, prit possession de mon corps. Je brandis ma croix et il m’ouvrit la voix. Nous hurlâmes à nous en faire taire les tympans. Je voyais nos mâchoires se démettre, le rouge filer sur nos mentons, sur nos gorges et entre nos seins. Pourtant, j’étais aveugle. Vois ces rubis Dieu, ils sont pour toi. Tout est pour toi. Ce temple, cet autel, nos offrandes, nos misérables vies. Vois comme Zapoche tend vers toi à la cime venteuse de notre falaise. Vois les vagues et l’écume, les navires pourfendus, les os brisés sous nos pieds et le sang sur la craie.

Inspiré par la musique Hell, Fire & Damnation de Jocelyn Pook.

Jardin intime

Je me circonscris dans mes contrées intérieures.

Démiurge d’un jardin si grand. Dieu, que je puisse m’y perdre ! Du lichen à mes pieds nus, de l’herbe pour les caresser et des eaux pour les rafraîchir. Ici, je suis tel un arbre, un pont entre tes cieux dévoilés et la terre, alors que là-bas, une maison m’appelle. Ses branches sont par endroits tressées, mais elle vit toujours ; son auguste floraison en est l’indice. Peut-être pourrais-je être en symbiose avec elle. Peut-être que l’amour m’y attend. Peut-être pourrais-je y enfanter. Qu’il serait agréable de valser au gré des vents tous ensemble et de prendre le rythme des oiseaux chantants. Qu’il serait agréable d’être heureux sans faire germer les envieux et de passer tout cet espace à travers le temps. Quand mon corps n’en pourra plus, qu’il reposera sur l’humus, je m’élancerai à nouveau vers toi et tu pourras m’offrir la vie ici un millier de fois.

Inspiré par Ave Maria (Ellen’s Third Song, D. 839, Op. 52, No. 6) de Franz Schubert, chantée par Barbara Bonney.

Ans 2018 – 2017

Cri sous la Lune

Tourment sous la Lune;
La chouette se tut, l’homme hurle.
Hécatombe derrière les dunes;
Hahouuuu, la mort pullule.

Lycanthropie singulière,
Foisonne de mille manières
Dans les contrées lointaines,
Dans ton jardin d’Éden.

Omega

Par-delà les chemins à travers les cyprès,
Mon regard s’est porté sur un monde où tu cries.
T’offrant ces bras pour t’amener à mes côtés,
Je découvre que je me tiens où tout fini.

Adieu

Tes restes sur un lit de terre,
Offrant tout ton sel à celle-ci.
Terrestre et bleuâtre est ta chair,
Ta triste cervelle ci-gît.

Je t’imagine être univers
Au point d’en avoir le tournis.
Bien au-delà de cet enfer,
Où je chancelle, étourdie.

D’une vie

Se tenant la main,
Et allant au loin;
Voyages filants
Au travers d’enfants.

La pluie du matin,
Perle de desseins;
Regards bienveillants
Entre deux amants.

Bercés du destin,
Au fond d’un jardin,
Un seul cœur pleurant.

Jour évanescent;
Filantes phalanges
Dans chevelure d’ange.

Violence

Colonie de pustules s’octroie ta face.
Prends des pilules pour y faire face.
Engeance de fistules en ta carcasse;
Meure la libellule à coups de masse.

Loin du Mal

Lune verdâtre écœurante,
Aliénée par les amarantes,
Contempte l’histoire du monde
Qui sous son livide œil inonde.

Des diatomées mourantes
Aux bocages qui la hante;
Tant de paysages immondes
Par l’homme menant la ronde.

Ô chose étincelante
Des nuits resplendissantes,
Nous parcourons les mêmes ondes.

J’en ai marre que tous tondent.
Mais les nuits où tu m’accompagnes
Je te regarde et ils s’éloignent.

*

Cet organisme inerte
Sous ma chevelure verte,
S’accapare ma branche,
Un corbeau à sa hanche.

Danse macabre

Musique d’outre-tombe
Appelle à la danse,
Les morts sous les tombes,
En toute connivence.

Les torses se bombent,
Tripes hors des panses.
« Viens ma colombe,
Toi qui es rance. »

Loin des trombes,
Cette douce romance
Jouée par le rhombe
Sans tempérance.

L’échine se courbe
Hors des souffrances,
Hors de la tourbe,
Dans l’élégance.

Loin les vifs fourbes
Dans l’ignorance
De leur date d’échéance.

Suicide

Inextinguible cruauté.
Moribondes sont mes pensées.
J’ai chanté du mieux que j’ai pu.
J’ai dansé comme jamais vu.
L’ineffable mue
Qui jamais n’est venue
Me met à nu et me tue.

*

Tungstène étoilé,
De pétrole j’ai rêvé
Sous la lune effarée,
Sur mon corps étiolé.

*

Te souviens-tu de la nuit
Où tu m’as vu éblouie,
Par les rayons du soleil,
Colorée de merveilles ?

*

En bon nyctophile,
Je me plais dans le noir.
Le jour, cet asile
Me fait broyer du noir.

*

Du vide dans l’intestin
À ta mort pour destin,
J’ai dévoré ta chaire,
Bien que tu m’étais cher.

Et des profonds confins
À l’évanescence des parfums,
J’ai joué du revolver
Pour rejoindre l’univers.

Il semblait sans fin.
Moi j’étais sans faim,
Sans envie mortifère.

Ô mon frère,
Mon esprit s’embrume.
Je quitte l’amertume.

*

Des doigts parcourent un corps
Qui se laisse faire, comme mort.
Pourtant quelques frissons
Esquissent un sourire fripon.

*

Quand la pestilence outre-tombe,
Quand l’éclair pourfend l’humus,
J’extirpe tes restes de la tombe
Pour les bénir de mon mucus.

Blasphème blème.
Incantations sous l’ablation.
Aliénation à l’horizon.
Anathème poème.

*

Nœud coulant se tend;
D’un brigand pleurant,
Feu d’un coup le cou,
Pour le sou des fous.

*

Danse lactée
D’étoiles esthètes.
Et dans ma tête,
L’ubiquité.

*

Jardin des rêves cristallins
Où toutes peines s’évaporent
Pour laisser place à l’aurore
De crépuscules sans fin.

*

Bête noire abandonnée
À ta propre solitude
Moulte fois tourmentée
Par ta décrépitude.

Tristesse pour dulcinée,
Est-ce dû à ton attitude ?
Souffrance pour destinée,
Seule la mort pour prélude.

Peste acheminée,
Veines empoisonnées.
Ta fin s’élude.

La rivière prude
Se drape de toi
Et tu deviens moi.

Dépravés

Mon corps se mord,
Je me dévore.
Des moussons déciment les terres,
Et les mers relient des porcs.
Patriotes de pacotille se ruent sur les papillotes d’autres rivages,
Puis jouent à la belotte,
Frappent les têtes des linottes
Et tuent des marmottes
Pour engraisser leur cagnotte.
Mon corps se mord,
Je me dévore.

Sidéré

Soleils dans la nuit noire,
Mes pupilles se replient.
Nyctalope comme un loir,
Je suis éblouie.

*

Langue serpentant tel un boa
Lancinante à travers tout le bois,
Cerclée de dents anthropophages
Et à l’haleine des soirs d’orage,
Je me suis perdue à travers toi.

Affaiblie et seule sous ton toit,
Tes feuilles défilent entre mes doigts.
Et quelques racines hors gencives
Me portent et me mènent à la dérive.
Je sais que tu ne veux plus de moi.

Je pleure à l’orée de toi,
Et tu ne m’embrasses pas.
Je meure à l’orée de toi,
Et tu n’es plus là.

*

Sœurs amoureuses
Derrière l’abbatiale;
Blasphème jovial
Pour transe bestiale.

Normalité

Société où l’on se conforme,
Dans l’espoir de garder la forme,
De ma volonté je t’informe
Que les gens sont difformes.

D’apparence cruciforme,
Tête en bas, hors des normes,
Les bras dans l’alignement,
Je dis « Gloire à Satan ».

*

Rafales dans les voiles,
Je m’endors sous les vagues.
Les étoiles me dévoilent,
Je danse et je divague.

Nue dans le ciel boréal,
Bien loin des pastenagues
Ou d’une raie pluviale,
Je me balade en zigzags.

Puis je quitte l’idéal
En sortant une dague;
Feu l’onirique encéphale.

La froide pluie
Prend mon abri,
Traverse la toile.

*

Lumière d’une pureté bénéfique
Immacule la conception à sa façon.
Crucifix et morts deviennent féeriques.
Oraison infertile sous la floraison.

Raies colorées de beauté sur son passage,
Nul ne peut cesser d’admirer le paysage.
Elle galope et ressuscite l’angélique.

Terre nourricière

Excavation vers d’infinies lieues putrides
Où vie tumultueuse grouille et gargouille.
Exhalaison depuis les bas-fonds humides
Où chaos paisible souille ma dépouille.